En bourse, comme dans la vie, nous sommes en permanence confrontés à des préjugés. Ceux-ci viennent de notre culture, de notre éducation, des médias, de nos expériences, de nos peurs, de notre cupidité, peu importe. Ils nous poussent à agir la plupart du temps de manière irrationnelle, et donc nous font faire des erreurs. J'en livre quelques-uns ci-dessous, en essayant de les comprendre et de s'en prémunir.
Préjugé n°1 : Investir en bourse est risqué
Cette croyance nous vient des pertes que beaucoup d'investisseurs (dont peut-être nous-mêmes) ont essuyé par le passé, lors de certains gros krachs ou marchés baissiers historiques. On pense évidemment à 1929, 1987, 2000 et 2008, mais il y en a encore beaucoup d'autres. Certains petits épargnants, mais aussi de beaucoup plus gros acteurs, ont tout perdu ou presque lors de ces événements. Même s'il y a une part de vérité, ce préjugé nous conduit à rester totalement en marge du marché, ce qui nous fait courir un autre risque beaucoup plus et pernicieux : la perte du pouvoir d'achat à cause de l'inflation. En laissant ses billes sur un compte épargne, on perd en effet à coup sûr de l'argent en termes réels sur le long terme. Certes, à court terme, la bourse est plus risquée. Mais à long terme c'est le seul moyen efficace pour faire progresser la valeur de son capital. Pour diminuer le risque d'investir en actions, il faut diversifier, acheter bon marché, investir de manière régulière et posséder un horizon de placement de 10 ans au moins.
Préjugé n°2 : Investir en bourse est compliqué
Il y a trente ans, c'est vrai que ce n'était pas évident d'investir en bourse. Internet et les ETFs n'existaient pas. Il fallait donc puiser ses informations dans les revues et journaux spécialisés, puis téléphoner à son banquier pour passer un ordre. Aujourd'hui le web regorge d'informations (pertinentes ou non) et on transige un titre en l'espace de quelques clics, à moindres frais. Mais la règle de base pour investir n'a jamais changé et reste finalement assez simple : acheter un titre bon marché par rapport à sa valeur intrinsèque. Suivant la méthode qu'on va utiliser pour déterminer cette valeur, c'est vrai que ça peut devenir compliqué, mais on peut aussi facilement s'accommoder d'un seul indicateur, comme l'ont prouvé plusieurs recherches. Même une stratégie toute simple, consistant à n'acheter que les titres avec les plus faibles ratios EBIT/Entreprise Value permet de battre les fonds de placement, pourtant gérés par des soit-disant experts du domaine. Si on ne veut pas se prendre la tête on peut carrément acheter un ETF qui réplique le marché, il n'y a pas plus simple, et comme la plupart des gens n'obtiennent de toute façon pas de meilleurs résultats que Mr. Market, cette stratégie a tout son sens également. Comme toujours, le mieux est l'ennemi du bien. En bourse, comme au marché du coin, on doit juste acheter à bon prix. Si on commence à trop vouloir compliquer les choses, ou à les voir plus compliquées qu'elles ne le sont vraiment, alors on a toutes les chances que ce soit notre vie d'investisseur qui devienne compliquée.
Préjugé n°3 : Un titre devient bon marché si son cours s’effondre
Demandez à 100 personnes comment juger si une action est bon marché et 99 vous répondront qu'il suffit de regarder l'historique de son cours. Si le titre est au plus bas des 12 mois, ou qu'il a perdu par exemple un tiers de sa valeur, c'est que c'est "forcément une bonne occasion à ce prix" ou alors que ça "ne peut pas tomber plus bas". Malheureusement l'histoire boursière regorge de sociétés qui ont commencé par perdre quelques dizaines de points de pourcentage, avant de faire faillite. En Suisse, on a même eu droit à un cas d'école en la matière, avec la disparition de Swissair. Combien de pigeons, votre serviteur y compris, se sont fait piéger en pensant acheter une aubaine alors que la compagnie aérienne filait droit vers sa perte? Comme dit le dicton "On n'attrape pas un couteau qui tombe". C'est sans aucun doute une de leçons les plus précieuses que j'ai apprise à mes dépens lors de mes premières années d'investissement. L'historique des cours des actions n'a strictement rien à voir avec la valeur d'une entreprise. Si le cours chute un moment donné, c'est que le marché estime, à tort ou à raison, que l'entreprise a perdu de sa valeur. S'il a raison, comme pour Swissair, alors l'opportunité se transforme en piège. A contrario, même si le marché à tort, il n'est pas certain que le cours, malgré la baisse, reflète la valeur intrinsèque de l'entreprise. C'est seulement cette dernière qui devrait dicter nos choix. De plus, le marché peut prendre plusieurs années pour reconnaître ses erreurs.
Préjugé n°4 : Un titre devient cher si son cours grimpe fortement
Si on suppose qu'un titre est bon marché lorsque le cours s'effondre, alors l'inverse serait aussi vrai : un titre qui a pris 50% en quelques mois doit forcément être trop cher. Mais encore une fois : trop cher par rapport à quoi? Ce n'est pas parce que le marché est en train de reconnaître ses erreurs, parce qu'il aurait trop dédaigné une société, qu'il a rattrapé tout le retard au niveau de la valorisation. Si vous estimez qu'une action vaut 100$ et son cours est récemment monté de 50$ à 75$, alors vous pouvez encore escompter une jolie plus-value en l'achetant à ce prix. Mieux : vous n'avez pas à attendre que le marché s'intéresse au titre que vous convoitez, car il est déjà en train de s'emballer.
Préjugé n°5 : Les grosses entreprises sont plus sûres que les petites
On a parlé de Swissair, mais on pourrait aussi citer Kodak, General Motors, Enron et Lehman Brothers. Les grandes entreprises sont certes la plupart du temps plus diversifiées et bénéficient aussi d'un accès plus facile au crédit. A contrario, elles sont nettement plus difficiles à piloter et à faire évoluer. Les problèmes à traiter dans les petites entreprises sont relativement simples et connus. Dans les big caps, ils sont complexes et parfois décelés trop tard. Les grandes entreprises ont de la peine à s'adapter aux changements rapides de l'environnement social, technique, économique, politique et écologique. Elles ont aussi des difficultés à innover, se renouveler et donc croître. Les small caps possèdent certes le risque inverse : elles n'ont pas toujours les reins assez solides pour traverser des difficultés passagères. En prenant quelques précautions lors de la lecture des bilans de ces entreprises, ont peut néanmoins s'assurer qu'elle seront suffisamment armées pour le faire. Pour les grandes entreprises, c'est beaucoup plus difficile de juger de manière objective si elles ont les qualités suffisantes pour perdurer. On doit apprécier des critères qui sont moins quantitatifs ou financiers, mais plus d'ordre stratégique, humain, managérial et technique. Dans tous les cas, il est faux de penser qu'elles offrent plus de sécurité que les petites.
Préjugé n°6 : Le marché est efficient
C'est plus qu'un préjugé, c'est même devenu une théorie. Cependant, pas besoin d'avoir faire HEC pour constater que cette affirmation est totalement erronée. Les bulles spéculatives ont toujours existé, on en a même un cas d'école assez récent, en 2000 avec les valeurs Internet. Si le marché était vraiment efficient, il ne permettrait pas que le cours de sociétés qui n'ont jamais créé le moindre bénéfice puissent s'envoler dans le firmament. Il ne permettrait pas non plus, suite au long marché baissier qui a suivi, que d'autres valeurs de très bonne qualité soient totalement négligées. Dans le même ordre d'idée, si le marché était vraiment efficient, comment se fait-il qu'un certain nombre d'investisseurs, faisant partie de l'école de Benjamin Graham, soient parvenus à le battre année après année, depuis très longtemps ? Le marché, à court terme, est tout sauf efficient. Il réagit en fonction des peurs et de la cupidité des être humains qui y interagissent. A long terme par contre, effectivement, il finit toujours par retourner à sa vraie valeur.
Préjugé n°7 : Les analystes en savent plus que nous
Les analystes ont évidemment accès à un nombre incalculable d'informations privilégiées. Ils ont le temps d'effectuer des recherches de longue haleine sur une entreprise en particulier. Alors oui, de ce point de vue, ils en savent plus que nous. La bonne question à se poser néanmoins c'est : est-ce que ces informations sont utiles et pertinentes pour obtenir une meilleure performance tout en minimisant le risque ? La réponse est non. Les analystes possèdent tous un ou plusieurs biais. Le premier c'est qu'ils sont issus du sérail financier. Ils arrivent donc difficilement à penser "Out of the Box". Le meilleur exemple nous a été fourni en 2008 avec la crise des subprimes. L'autre biais des analystes, c'est leur focus fréquent sur les résultats à court terme, notamment les résultats trimestriels. Ce faisant ils participent à la volatilité des marchés en émettant des recommandations ou des prévisions de résultats. Citons encore évidemment les conflits d'intérêts évidents auxquels ils sont soumis. Donc, oui les analystes en savent potentiellement plus que nous, mais ces informations ne servent que leurs propres intérêts. Au contraire, en pensant en dehors du système, nous avons toutes les chances de notre côté pour faire mieux qu'eux.
Préjugé n°8 : Seuls les très riches peuvent gagner de l’argent en bourse
Posséder un substantiel capital de départ offre indéniablement plusieurs avantages pour investir en bourse. Plus notre patrimoine est important, plus on peut diversifier ses actifs. De plus, en achetant des grosses positions, on limite la proportion des frais de transaction. Néanmoins, il a été prouvé qu'au-delà de 50 positions, la diversification n'offre plus aucun avantage. De plus, de nos jours, on peut trouver des brokers vraiment bon marché, même pour des petites transactions. Quand on possède une petite fortune, il est relativement aisé de trouver des opportunités dans lesquelles investir. Au contraire, avec une masse de cash importante, on doit se creuser les méninges pour trouver encore et encore d'autres endroits où placer son argent. On pourra avoir certes recours à des spécialistes de la finance, mais ceux-ci facturent bien évidemment des frais supplémentaires, et comme nous venons de le voir, ils ne sont pas forcément meilleurs que nous.
Préjugé n°9 : Un titre qui paie un gros dividende est bon marché
C'est tellement tentant... Vous tombez sur un titre qui paie un rendement supérieur à 5% et vous vous dites que c'est une sacrée aubaine. Ce faisant vous oubliez que les dividendes, au contraire des coupons d'obligations, ne sont pas assurés. Une entreprise peut tout à fait diminuer voire supprimer les distributions qu'elle offre à ses actionnaires. Au contraire, une entreprise qui paie un tout petit dividende peut décider de le doubler l'année suivante. Se baser sur le dividende pour savoir si un titre est bon marché ou non est donc une très mauvaise idée.
Préjugé n°10 : Les fonds de placement sont plus sûrs que les actions
C'est même tout le contraire! Comme nous l'avons vu au préjugé n°2, même en misant sur une stratégie toute simple, il est possible d'obtenir une meilleure performance que les fonds de placement. Il suffit de diversifier suffisamment son portefeuille pour éviter qu'il ne soit trop volatil. Entre 20 et 50 titres font l'affaire. En misant sur un fond de placement, vous perdez forcément entre 1% et 2% par an, juste pour payer ceux qui s'en occupent. Cela fait beaucoup sur une rentabilité réelle de 8% environ qu'on pourrait obtenir par année sur le marché des actions. N'oubliez pas : tout intermédiaire va forcément prendre sa part de gâteau. En achetant directement des actions on évite ce problème. Sans compter qu'on est certain que la stratégie nous corresponde. Les ETFs sont plus intéressants que les fonds de placement, du fait de leurs faibles frais de gestion. Attention néanmoins car les ETFs possèdent un biais vers la "popularité" (au détriment de la qualité), à savoir les big caps et les gros marchés des actions. De plus ils ont une fâcheuse tendance à prêter les actions qu'ils possèdent ("securities lending"), afin d'abaisser artificiellement leurs frais. Cette pratique n'est pas dénuée de risques. Certains disent même que cette stratégie pour le moins opaque des ETFs possède le potentiel de déclencher une crise comparable à celle des subprimes!
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Merci pour cet article. Même si on sait déjà quelque chose, ça fait du bien de le lire. Et même si l’on a conscience de certains de ses propres biais, on doit toujours lutter pour ne pas s’y laisser prendre. Je lutte en permanence, et pas toujours avec succès…
J’ai un ami qui est convaincu que le système capitaliste américain a trouvé le moyen de faire monter la bourse et l’économie jusqu’à l’infini, sans jamais redescendre. On s’argumente là-dessus depuis un an et +. Je suis certain de gagner, mais pour l’instant il n’arrête pas de me faire mentir… J’ai hâte de pouvoir rire de lui!
Il a peut-être raison… Sur le très long terme!
Merci pour cette excellente revue des préjugés à la bourse.
Un autre a priori très fréquent à la bourse est qu’un titre avec un PER de 20 est forcément plus cher qu’un autre avec un PER de 10 et qu’il vaut mieux acheter le second. Pourtant, ce ratio (ou un autre comme le PBR) dépend énormément de la qualité de l’entreprise, de sa croissance, ses marges,… C’est pourquoi une perle comme Geberit ou Partners Group est bon marché à un PER de 20, alors qu’une tache comme Adecco est beaucoup trop chère à un PER de 15.
Je lis très souvent sur des blogs des critères du type « j’achète seulement des actions dont le PER est inférieur à 20 ». En procédant ainsi on ne tient pas compte de la qualité de l’entreprise. C’est comme dire qu’une BMW devrait coûter le même prix qu’une Peugeot!
Oui c’est juste. La qualité a un prix. C’est d’ailleurs ce qu’il y a peut-être de plus difficile à juger. Combien suis-je prêt à payer pour posséder ces attributs particuliers ?
Le danger en ne misant que sur des PER bas par exemple, c’est de tomber sur des canards boiteux. A l’inverse, se focaliser sur le haut du panier en termes de prix ne garantit nullement d’obtenir de la qualité. C’est comme quand vous faites des achats de biens et services. Le plus cher n’est pas forcément le mieux, mais le moins cher est souvent (mais pas toujours) un coup foireux. Il est important de regarder le prix et la qualité.
Ceci étant dit, la recherche a montré, comme je l’ai dit dans cet article, qu’en en ne misant même que sur un critère de valorisation (EBIT/EV), on pouvait battre la plupart des gestionnaires de fortune. Se concentrer sur des titres qui sont délaissés par le marchés, c’est donc bénéficier de jolies opportunités et d’une espèce de garde-fou sur les titres trop spéculatifs. Sur la masse des titres achetés par ce biais, il y aura bien entendu des titres de piètre qualité, qui risquent de sous-performer. Ajouter des critères qualitatifs permettent de limiter notablement ces inconvénients.
Attention également comme tu le dis à ce fameux PER (qui est justement un peu trop connu à mon goût). Parmi les nombreux critères de valorisation qui existent, c’est sans aucun doute le moins pertinent, car il est inconstant, peu fiable, sujet à manipulation et interprétations différentes, en fonction de ce qui est ou non traduit dans le bénéfice.