La stratégie d'investissement 60/40, longtemps perçue comme la norme en matière d'allocation d'actifs, suscite un débat grandissant dans le milieu financier. Cette approche classique, qui consiste à allouer 60 % du capital aux actions et 40 % aux obligations, a été élaborée pour instaurer un équilibre optimal entre la croissance du capital et sa protection. Cependant, elle est aujourd'hui contestée dans un contexte économique profondément bouleversé par la crise financière de 2008 et les répercussions de la pandémie de Wuhan.
Dans cet article, nous commencerons par examiner l’évolution de l’approche 60/40 tout en soulignant les défis qu'elle rencontre aujourd'hui. Nous explorerons ensuite diverses stratégies alternatives et les sous-classes d'actifs pertinentes pour la construction de portefeuilles. Après avoir mené à bien cette analyse, nous porterons notre attention sur la section la plus essentielle : les backtests. Nous scruterons les résultats de toutes les configurations présentées, ainsi que d'autres scénarios potentiels. Pour finir, nous proposerons une synthèse de l’approche 60/40 en tenant compte du contexte actuel.
La stratégie 60/40 : les fondamentaux historiques
La stratégie 60/40 a été créée dans les années 1950, à une époque où les marchés financiers étaient moins complexes qu'ils ne le sont aujourd'hui. Ses fondements reposent sur la théorie moderne du portefeuille, élaborée par les éminents lauréats du prix Nobel d'économie, William Sharpe et Harry Markowitz. Le légendaire investisseur Benjamin Graham présentait d'ailleurs déjà, dans son ouvrage de 1949, "L'investisseur intelligent", un portefeuille qui suit à peu de choses près une philosophie similaire, avec 50 % d'actions et 50 % d'obligations.
Depuis sa création il y a 75 ans, le modèle 60/40 a été décliné de multiples façons, avec diverses variations concernant les sous-classes d'actifs et des ajustements subtils des pondérations. Les actions ont ainsi été sélectionnées selon des critères géographiques, sectoriels ou par catégories de capitalisation. De même, les obligations ont été choisies selon leur durée jusqu'à maturité, leur niveau de risque, le type d'émetteur (entreprises ou gouvernements), ou encore leur région d'origine. Cependant, au final, cela reste un portefeuille 60/40, avec quelques nuances près. Le nom change, mais le contenu reste le même.
Le ratio 60/40 s'est ainsi imposé comme une solution efficace pour les investisseurs cherchant à bénéficier à la fois du potentiel de croissance des actions et de la stabilité des obligations. Les actions génèrent des rendements supérieurs sur le long terme, tandis que les obligations jouent un rôle défensif. Historiquement, cette stratégie a démontré sa robustesse en traversant différents cycles économiques. Elle a particulièrement bien fonctionné pendant les périodes de forte inflation des années 1970 et 1980, où les obligations offraient des rendements élevés.
La simplicité de mise en œuvre et la facilité de compréhension de cette stratégie ont contribué à sa popularité auprès des investisseurs institutionnels et particuliers. Elle est devenue un standard de l'industrie de la gestion d'actifs.
John C. Bogle & les Bogleheads
Si l'invention du portefeuille 60/40 remonte aux travaux des légendes Harry Markowitz, William Sharpe et Benjamin Graham, c'est John C. Bogle, le fondateur de Vanguard, qui a véritablement popularisé le modèle auprès du grand public. Grâce à son plaidoyer en faveur de l'investissement passif et de la simplicité, Bogle a permis à des générations d'investisseurs particuliers d'adopter cette stratégie. En prônant une approche d'achat et de conservation, Bogle a défendu l'idée que la plupart des investisseurs tireraient avantage d'une exposition diversifiée à travers des fonds indiciels à faible coût.
Sa philosophie a trouvé un écho auprès de nombreux investisseurs particuliers, désireux de maximiser leurs rendements tout en minimisant les frais. La communauté Boglehead a ainsi émergé dans les années 1990, en grande partie grâce à son influence. L'un des catalyseurs de la formation de cette communauté a été la publication de son ouvrage, "Common Sense on Mutual Funds", qui a vulgarisé l'idée que la plupart des investisseurs pouvaient réaliser leurs objectifs financiers sans avoir recours à des gestionnaires d'actifs à forte rémunération.
Les Bogleheads, comme on les appelle, se sont rassemblés autour de forums en ligne, où ils échangent des conseils et des stratégies d'investissement, s'inscrivant ainsi dans un mouvement plus large de démocratisation de l'investissement. Leur approche met l'accent sur une allocation d'actifs souvent inspirée du modèle 60/40. Elle prône une discipline d'investissement à long terme, centrée sur la simplicité et l'investissement passif via des fonds indiciels à faibles coûts.
L’évolution des marchés remet en question l’approche
L'environnement de taux bas qui persiste depuis la crise financière de 2008 a eu un impact profond et durable sur le paysage économique et financier mondial. Cette période prolongée de faiblesse des taux d'intérêt a non seulement modifié les attentes des investisseurs, mais a également engendré une remise en question fondamentale de la manière dont les portefeuilles d'investissement sont construits et gérés. Des rendements obligataires historiquement faibles, souvent inférieurs à l'inflation, remettent en cause la pertinence de la composante obligataire traditionnelle, qui était jadis considérée comme un pilier indéfectible de toute stratégie d'investissement.
Les politiques monétaires non conventionnelles adoptées par les banques centrales, comme l'assouplissement quantitatif et les taux d'intérêt proches de zéro, ont également créé des distorsions significatives sur les marchés financiers. Dans ce contexte, l'injection massive de liquidités dans le système économique a contribué à augmenter la valorisation des actifs, entraînant une volatilité accrue et des comportements parfois irrationnels sur les marchés. Par conséquent, les investisseurs ont dû repenser leurs stratégies pour adapter leurs portefeuilles à cette nouvelle réalité.
Corrélations entre actions et obligations
Le ratio 60/40 est souvent perçu comme très avantageux en matière de rendement et de risque, en raison de la corrélation historiquement faible, voire négative, entre les actions et les obligations, phénomène particulièrement marqué depuis les années 1990. Cela signifie que les obligations peuvent offrir une protection contre les pertes enregistrées sur le marché boursier. Cependant, il faut noter que les corrélations actuelles entre ces deux classes d'actifs sont devenues plus erratiques et moins prévisibles. En période de stress sur les marchés, nous observons désormais des mouvements synchronisés entre les actions et les obligations.
Il faut souligner que le phénomène des corrélations positives entre les actions et les obligations n'est pas franchement nouveau. J'en parlais déjà en 2017. Ce comportement a tendance à se manifester lors des périodes de hausse des taux d'intérêt, comme cela a été observé non seulement après la pandémie de COVID-19, mais aussi durant les Trente Glorieuses, en particulier en 1969. Dans de telles circonstances, les obligations, traditionnellement considérées comme des valeurs refuges, peuvent se déprécier alors que les investisseurs anticipent des politiques monétaires restrictives. Cette dynamique fait que les obligations perdent leur capacité à se comporter de manière indépendante des marchés actions, réduisant ainsi les avantages du modèle 60/40.
Cependant, réduire les avantages ne signifie pas les éliminer. Même dans un contexte de corrélation positive, l'impact sur un portefeuille 60/40 reste relativement modeste sur le long terme. Les périodes de resserrement monétaire ne sont pas inédites. Certains investisseurs institutionnels semblent avoir négligé cet aspect et jouent aujourd'hui les vierges effarouchées, en voulant jeter aux orties les obligations. Cela pourrait en réalité représenter une opportunité pour la stratégie 60/40.
Le 70/30
Le portefeuille 70/30 est une alternative qui gagne en popularité parmi les investisseurs en quête de rendements supérieurs tout en cherchant à naviguer dans un environnement économique incertain. En allouant 70 % du capital aux actions et 30 % aux obligations, cette approche vise à augmenter la part de croissance, tirant parti du potentiel plus important des marchés boursiers, tout en maintenant une certaine protection offerte par les obligations. Historiquement, le portefeuille 70/30 est souvent perçu comme un compromis attrayant entre le classique 60/40 et des allocations plus agressives, offrant un risque légèrement plus élevé, mais avec le bénéfice d'une exposition accrue à la rente boursière.
Comme les actions ont tendance à générer des rendements plus élevés sur le long terme, ce modèle peut s'avérer particulièrement attractif pour les investisseurs qui ont un horizon temporel prolongé et qui peuvent se permettre de tolérer davantage de volatilité à court terme. Cependant, il faut souligner que ce passage à un portefeuille 70/30 ne doit pas se faire sans une analyse prudente des objectifs d’investissement individuels, du niveau de tolérance au risque et des conditions de marché.
Le classique 50/50 de Graham
Benjamin Graham, dans son ouvrage "L'investisseur intelligent", préconise une allocation d'actifs de type 50/50, répartissant équitablement les investissements entre actions et obligations. Cette approche, bien que moins répandue que le modèle classique 60/40, peut servir de rempart contre les fluctuations brutales des marchés, tout en permettant aux investisseurs de bénéficier des rendements à long terme typiquement offerts par les actions.
Cette stratégie reflète la philosophie de Graham, qui prône une approche prudente face à l'incertitude économique. Bien que souvent négligée dans le cadre des allocations modernes, l'approche 50/50 de Graham mérite d'être redécouverte, en particulier dans un environnement marqué par une volatilité accrue.
Allocations statiques et dynamiques d’actifs
L'allocation statique (ou stratégique), caractérisée par une répartition fixe de 60 % d'actions et 40 % d'obligations, a longtemps été le choix privilégié des investisseurs. Cette méthode repose sur la conviction que, sur le long terme, cette combinaison offre un équilibre optimal entre rendement et risque. Cependant, avec les défis contemporains qui secouent les marchés, l'allocation dynamique (ou tactique) commence à séduire de plus en plus d'investisseurs.
L’allocation dynamique permet d'ajuster les pondérations des actifs en fonction des conditions de marché. Dans des périodes de forte volatilité ou d'incertitude économique, les investisseurs peuvent choisir de réduire leur exposition aux actions pour sécuriser leurs gains. Cela permet de réagir plus rapidement aux mouvements du marché, en améliorant potentiellement le rapport rendement/risque.
Les approches telles que la répartition par risque ("risk parity") mettent l'accent sur la volatilité et la corrélation pour pondérer les classes d'actifs. Elles cherchent ainsi à optimiser le rendement sur une base ajustée au risque, ce qui peut offrir une protection supplémentaire dans un environnement de marché incertain.
Allocation en fonction de l’âge
L'allocation en fonction de l'âge est une approche d'investissement qui considère l'âge d'un investisseur comme un facteur clé pour déterminer la répartition d'actifs entre actions et obligations. Cette méthode repose sur l'idée qu'à mesure qu'une personne vieillit, sa capacité à absorber le risque diminue, ce qui nécessite un ajustement de la composition de son portefeuille en faveur d'actifs moins volatils, tels que les obligations. La règle courante stipule qu'un investisseur devrait allouer un pourcentage de son portefeuille en obligations équivalant à son âge. Par exemple, un investisseur de 30 ans devrait avoir 30 % de son portefeuille en obligations et 70 % en actions, tandis qu'un investisseur de 60 ans devrait allouer 60 % en obligations.
Bien que cette méthode offre une simplicité d'application et une approche prudente pour la protection du capital, elle présente également des limitations. Elle ne tient pas compte des situations financières individuelles ou des besoins spécifiques, ce qui peut conduire à une allocation inappropriée pour certains investisseurs. De plus, elle peut entraîner une exposition insuffisante aux actions en période de marché haussier, réduisant ainsi le potentiel de croissance des actifs.
Ainsi, bien que l'allocation en fonction de l'âge soit une approche populaire, il convient d'exercer une certaine prudence et de considérer une personnalisation de l'allocation d'actifs en fonction des circonstances et des objectifs uniques de chaque investisseur.
Les sous-classes d’actifs
Les sous-classes d'actifs utilisables dans un portefeuille 60/40 peuvent grandement influencer le rendement et le risque global de la stratégie. Au-delà de la simple distinction entre actions et obligations, il est nécessaire d'explorer les diverses catégories et types d'actifs qui peuvent être intégrés pour optimiser l'allocation.
Pour les actions, les investisseurs peuvent envisager de diversifier non seulement par secteur (technologie, santé, consommation, etc.), mais aussi par géographie ou en fonction de la capitalisation des entreprises.
En ce qui concerne les obligations, plusieurs sous-classes peuvent être intégrées dans le cadre d'une allocation 60/40, en fonction du type d'émetteur (gouvernement ou entreprise), de leur note de crédit (Investment Grade ou High Yield), de leur niveau de maturité (courte, moyenne ou longue) ou de leur pays d'origine.
ETFs
Les ETF et les fonds indiciels constituent des instruments pratiques pour accéder à ces sous-classes d'actifs, facilitant ainsi la gestion d'un portefeuille équilibré. Dans mon article consacré aux ETFs, vous découvrirez un éventail complet d'ETFs couvrant les sous-classes d'actifs mentionnées, permettant ainsi de mettre en œuvre relativement facilement une stratégie 60/40.
Dans les backtests qui suivront, j'utiliserai plusieurs de ces instruments, en les complétant par d'autres fonds cotés, notamment pour les obligations suisses et internationales. Voici les ETFs qui sont retenus pour les tests rétroactifs :
- Actions américaines : SPY, QQQ, VDC, XLV
- Actions suisses : EWL
- Actions mondiales : VT
- Obligations gouvernementales US à longue maturité : TLT
- Obligations gouvernementales US 7-10 ans : IEF
- Obligations gouvernementales US 3-7 ans : IEI
- Obligations Grade d'entreprises US : LQD
- Obligations High Yield d'entreprises US : HYG
- Obligations Grade gouvernementales et d'entreprises US : BND
- Obligations gouvernementales CH 7-15 ans : CSBGC0
- Obligations gouvernementales CH 3-7 ans : CSBGC7
- Obligations Grade d'entreprises CH : CHESG
- Obligations gouvernementales des pays développés hors USA : BWX
- Obligations Grade d'entreprises des pays développés hors USA : IBND
- Obligations High Yield d'entreprises des pays développés hors USA : HYXU
- Obligations d'entreprises des pays émergents : CEMB
- Obligations gouvernementales des pays émergents : EMB
S'il y a nettement plus de choix pour les obligations, c'est que nous avons déjà passé en revue et sélectionné les meilleurs ETFs en actions pour constituer des portefeuilles. Même si EWL et VT n'avaient pas affiché des résultats mirobolants, je les conserve à titre de benchmark.
Concernant les ETFS en obligations, on avait déjà constaté les éléments qui suivent :
- TLT affiche la plus forte corrélation négative avec SPY, soit avec le marché des actions US. C'est un atout de poids en termes de diversification, en particulier lorsque la bourse chute. Il est efficace pour faire baisser la volatilité du PF.
- IEF est corrélé négativement à SPY, mais moins que TLT. De plus, il est fortement corrélé à ce dernier. Il est donc moins efficace efficace que TLT pour diversifier et faire baisser la volatilité d'un portefeuille.
- Les obligations d'entreprise, qu'elles soient de haute qualité (LQD) ou à haut rendement (HYG) sont corrélées de manière notable à SPY (en particulier HYG). Elles n'amènent donc rien en termes de diversification, d'autant que la rentabilité sur le long terme est assez faible.
Nous allons maintenant examiner les résultats de la combinaison de tous ces éléments dans un portefeuille réparti à 60/40, ainsi que dans d'autres configurations.
Backtests
Les backtests sont décomposés en cinq sections :
- le 60/40 classique (lui-même décomposé en cinq lots)
- les allocations statiques alternatives, avec d'autres pondérations
- le 60/40 dans sa version dynamique, avec une allocation qui s'adapte en fonction des conditions de marché
- l'allocation en fonction de l'âge
- les évolutions possibles du 60/40
Pour chaque section, nous examinerons l'efficacité des différentes sous-classes d'actifs en utilisant les ETFs mentionnés précédemment. Au fil des backtests, nous éliminerons les ETFs les moins pertinents, ce qui nous permettra de nous concentrer sur les meilleurs choix et d’éviter une surabondance de tests superflus.
Pour chaque backtest, un rééquilibrage annuel est effectué afin de faire correspondre les allocations à la cible.
60/40 statique
1er lot
Nous débutons par une analyse de 11 ETFs obligataires et 3 ETFs en actions, ce qui aboutit à 33 backtests différents. À cela, nous ajoutons une ligne avec une allocation de 100 % sur l'ETF SPY, qui sert de référence. Les tests rétroactifs s'étendent sur la période de 2008 à 2024. La limite minimale de cette analyse est dictée par l'ETF VT, qui est le plus "jeune" des fonds que nous examinons dans ce premier lot. Les portefeuilles sont classés du meilleur au pire ratio de Sharpe, ce qui nous permet d'évaluer la performance des différentes stratégies à risque égal. La performance est fondée sur le franc suisse (CHF).
Constats
- Concernant les actions :
- Pas de surprise, les portefeuilles avec EWL et VT sont clairement à la traîne par rapport à ceux avec SPY. On avait déjà souligné ce phénomène dans notre article consacré au portefeuille 100% en actions. Il n'y a donc pas de symbiose particulière avec les obligations qui sublimerait ces ETFs.
- SPY tout seul figure sur la troisième place du podium, ce qui peut s'expliquer par la faiblesse des taux durant cette période.
- Concernant les obligations :
- Les portefeuilles avec BWX (obligations gouvernementales des pays développés hors USA) affichent un résultat assez misérable. Cela signifie que ceux constitués avec IBND et HYXU, que l'on n'a pas testés ici, risquent de l'être aussi. On contrôlera ceci ultérieurement.
- Les obligations émergentes (EMB et CEMB), ainsi que celles à haut rendement des entreprises US (HYG) permettent aux portefeuilles d'afficher une bonne rentabilité (CAGR). Toutefois, la volatilité associée est importante. En conséquence, le ratio de Sharpe n'est pas extraordinaire.
- L'association entre les obligations gouvernementales suisses et les actions US constitue la meilleure combinaison. Ceci fait penser à l'association de SRFCHA et de SPY que nous avions vue dans notre article sur le portefeuille immobilier. C'est un peu une surprise, vu les taux misérables offerts pas les obligations de la confédération sur cette période. Ceci s'explique toutefois par une corrélation très légèrement négative des ETFs obligataires (-0.1 pour CSBGC7 et -0.08 pour CSBGC0) avec SPY. Le CAGR de ces combos sont inférieurs à SPY seul, mais en contrepartie le risque est plus faible et donc le ratio de Sharpe plus élevé. Les portefeuilles avec les obligations gouvernementales suisses et SPY sont d'ailleurs les seuls à battre SPY seul.
- Une surprise émerge de ces backtests : les portefeuilles comportant des obligations Grade d'entreprises US (LQD) et des obligations gouvernementales US de 7 à 10 ans (IEF), obtiennent de meilleurs ratios de Sharpe que celui comportant des obligations gouvernementales à longue maturité (TLT). Pourtant, la corrélation traditionnellement plus faible de TLT avec SPY devrait jouer en sa faveur. Cela peut être dû à la phase de hausse des taux post virus chinois. Il faudra contrôler sur le plus long terme ce que ça donne, vu que la période ici est relativement courte.
Parmi les portefeuilles analysés, le modèle 60/40 composé de VT et BND se classe dans la moitié inférieure du tableau. Cette allocation a été popularisée par Rick Ferri, un auteur influent de la communauté Boglehead. Il s'agit d'un 60/40 tout ce qu'il y a de plus classique, qui affiche des résultats plutôt modestes. Ferri propose également un portefeuille qui se décline en trois fonds : 40 % VTI, 20 % VXUS et 40 % BND. Ce dernier constitue une réplique exacte du premier, réparti sur trois ETFs. En effet, VTI, que nous avons abordé lors de notre article sur les portefeuilles en actions, reproduit le marché US des actions et VXUS représente le marché international des actions, hors USA. Comme VT est constitué à 2/3 d'actions US, on retrouve donc exactement les mêmes proportions : 2/3 de 60% de VT = 40% de VTI et 1/3 de 60% de VT = 20% de VXUS. Mêmes ingrédients, mêmes résultats.
John C. Bogle et ses Bogleheads ont le mérite d'avoir popularisé le 60/40, mais leur obstination à vouloir garder les choses simples fait que leur système n'a pas évolué depuis les contributions originales des légendes Markowitz, Sharpe et Graham. En soi c'est une bonne chose, mais dans ce cas il faut rendre à César ce qui est à César. Aujourd'hui pourtant, lorsqu'on évoque le portefeuille 60/40, le nom de Bogle émerge en premier. À propos de la simplicité, Albert Einstein, un autre prix Nobel, disait : «Tout doit se faire aussi simplement que possible, mais pas plus simplement que nécessaire». Tout comme la rentabilité ne peut se faire au détriment du risque, la simplicité ne doit pas se faire au détriment des résultats.
Les Bogleheads comptent parmi leurs membres un certain nombre d’auteurs de livres d’investissement grand public, comme Taylor Larimore, Mel Lindauer, Michael LeBoeuf et Rick Ferri. On trouve également parmi les contributeurs du John C. Bogle Center, qui est derrière les Bogleheads, une quantité importante d'auteurs, cadres ou dirigeants de sociétés de conseil financier. Le conseil d'administration du Bogle Center compte à sa tête Christine Benz, également directrice des finances personnelles et de la planification de la retraite chez Morningstar. Elle a publié de nombreux ouvrages sur Amazon. Il en va de même pour William Bernstein, membre du conseil d'administration du John Bogle Center, cofondateur d’Efficient Frontier Advisors, une société de gestion de placements et auteur prolifique sur Amazon. J'arrête là parce que la liste est assez longue.
Je n'ai aucun problème à ce qu'ils mettent en avant leurs produits et leurs sociétés, mais dans ce cas il y a une contradiction : soit la méthode est simple, peu coûteuse et dans ce cas elle mérite à tout casser quelques posts en libre accès, soit elle est suffisamment complexe pour mériter une plus-value, via des ouvrages spécialisés et des services payants. L'ouvrage de Taylor Larimore "The Bogleheads' Guide to the Three-Fund Portfolio", qu'il présente comme un "guide révolutionnaire", est un cas d'école : 18 dollars pour 118 pages, uniquement consacrées au portefeuille à trois fonds, dont on a vu la variante de Rick Ferri plus haut. Je n'ai pas lu et je ne lirai pas ce livre, qui n'a rien de "révolutionnaire" puisqu'il est basé sur une stratégie vieille de 75 ans. Je laisse donc la parole aux critiques d'Amazon :
- Il n’y a pas de véritables informations dans ce livre autre que « utilisez les trois fonds de Vanguard pour simplifier votre portefeuille, réduire les frais et performer mieux que les fonds gérés (pour rappel Vanguard a été fondé par John Bogle).
- Ce « livre » aurait pu être condensé en un article de 6 pages. Je l'ai lu en entier en moins d’une heure et je n’en suis pas ressorti impressionné. Ne l’achetez pas à moins d’être un novice complet.
- Un message simple dans un « livre » simple. Ce n’est en fait qu’une brochure pour Vanguard et l’histoire des fidèles bogleheads.
- Il s’agit plutôt d’un livre de Vanguard recommandant trois fonds indiciels et tout le livre tourne autour de cela.
- Il s’agit d’un argument de vente un peu trop important pour les fonds Vanguard pour que je puisse le considérer comme complètement objectif.
- Une grande partie de ce livre est constituée de « témoignages » de personnes qui utilisent le site Web de Bogleheads. Il n’en vaut la peine que si vous n’avez AUCUNE connaissance en investissement/finance. Tout ce qui s'y trouve peut facilement être obtenu en lisant quelques pages Web.
- J’ai l’impression d’avoir payé un petit livre pour que 50% de celui-ci cite des personnes faisant l’éloge de la méthode, 20% faisant la promotion de produits/courtiers et 20% d’informations utiles. Cela ressemble à un lavage de cerveau.
Notons que ce live reçoit également de très bonnes évaluations. Il obtient d'ailleurs 4.5/5 étoiles pour un peu plus de 1'000 notations. Ces chiffres doivent toutefois être relativisés, sachant que la communauté Bogle compte, selon eux, plus de 130'000 membres, et que le portefeuille à trois fonds est, selon Larimore, "le plus populaire sur le forum Bogleheads".
2e lot
Dans ce 2e lot, on va s'attarder sur les ETFs obligataires que nous n'avons pas encore abordés jusqu'ici : CHESG, HYXU et IBND. On les avait laissés de côté du fait d'un historique plus court. On va les comparer aux meilleures stratégies du lot précédent, mais sur un horizon temporel plus court, de 2012 à 2024. Les ETFs en actions ayant affiché les moins bons résultats (EWL et VT) seront dorénavant omis.
On a émis l'hypothèse dans le backtest précédent que les portefeuilles avec HYXU et IBND risquaient d'afficher des résultats décevants, au vu de ceux obtenus avec BWX (ces trois ETFs concernent des obligations des pays développés hors USA). Concernant CHESG (obligations Grade d'entreprises suisses), on devrait a contrario avoir de bonnes surprises, vu les résultats intéressants obtenus par les obligations gouvernementales suisses, ainsi que les obligations Grade d'entreprises US. Voici le résultat des backtests :
Constats
- Notre hypothèse concernant HYXU et IBND se confirme. Les deux portefeuilles se retrouvent en queue de classement.
- Le portefeuille avec CHESG réalise un meilleur résultat. Toutefois, il demeure en retrait par rapport à ceux comportant les obligations gouvernementales helvétiques.
- SPY seul constitue la meilleure stratégie, même pour le ratio de Sharpe. Ceci peut s'expliquer du fait que le marché des actions a particulièrement bien performé durant la période analysée. À plus long terme, comme nous l'avons vu avec le 1er lot, l'ajout d'obligations gouvernementales helvétiques permet d'obtenir un meilleur ratio de Sharpe.
- Le portefeuille avec TLT est encore une fois distancé par celui comportant IEF. Il figure même celui établi avec IEI. Il passe en revanche devant celui composé avec LQD.
3e lot
Nous allons remonter cette fois plus loin dans le temps, en allant au-delà de la date de départ utilisée pour le premier lot, qui était limité par VT. Grâce à un nouveau point d'origine fixé en 2004, nos backtests couvrent désormais une période complète de 20 années. Cela nous permet d'approfondir et de mieux éclairer certains des constats que nous avons évoqués précédemment.
Constats
- Les portefeuilles avec des obligations suisses sont toujours très bien positionnés.
- SPY seul est encore et toujours sur le podium. Décidément c'est une tendance qui se confirme et qui soulève des questions quant à la stratégie 60/40.
- Le portefeuille avec TLT est toujours distancé par celui avec IEF, mais la différence s'amoindrit. De plus, il se situe désormais devant ceux avec LQD et IEI.
4e lot
Cette fois, on va remonter carrément jusqu'en 1995, ce qui nous donne près de trente années de données. Pour ce faire, on va devoir se focaliser sur les ETFs US, les ETFs obligataires helvétiques étant trop "jeunes" pour remonter aussi loin. Cette couverture temporelle élargie va nous aider à mieux appréhender les résultats parfois surprenant de certains portefeuilles.
Constats
- SPY (seul) figure sur la première place du podium, aidé, dans ce test, par l'absence des obligations gouvernementales suisses.
- Les écarts entre les ratios de Sharpe des différentes stratégies sont relativement faibles.
- Le portefeuille avec TLT passe cette fois devant IEF. Sur près de 30 ans, c'est la meilleure stratégie 60/40.
- Si on avait pu remonter plus loin, au début des années 1980 (les ETFs ne sont apparus qu'en 1993), on aurait obtenu un résultat encore plus en faveur de TLT. Le portefeuille comportant uniquement SPY aurait dû abandonner sa première place, à cause des rendements obligataires très élevés en vigueur au début des années 1980, suivis par une longue et inoxérable baisse (ce qui fait augmenter le prix des obligations).
- Les portefeuilles avec BND, LQD et IEI sont moins bons que dans les tests qui ont précédé. Cela s'explique du fait d'une corrélation plus élevée avec SPY par rapport aux autres ETFs obligataires.
Récapitulons brièvement. Jusqu'ici, nous avons vu que :
- Parmi les ETFs en actions, SPY constitue la meilleur choix pour constituer un portefeuille 60/40.
- Parmi les ETFs obligataires, CSBGC0 représente la meilleure opportunité sur le moyen terme
- Sur le plus long terme, TLT constitue une option intéressante.
- Les autres ETFs obligataires n'amènent rien. Ils pèsent non seulement sur le CAGR, mais également sur le ratio de Sharpe. Un portefeuille constitué uniquement de SPY permet d'obtenir de meilleurs résultats, même pour le ratio de Sharpe.
5e lot
On revient en 2004, ce qui va nous permettre de réintroduire CSBGC0 et cette fois on va avoir recours à notre triade d'ETFs (QQQ/VDC/XLV) plutôt que SPY. Pour rappel, celle-ci avait obtenu un ratio de Sharpe de 0.66 durant cette période, avec un CAGR de 9.67.
Le PF 60/40 composé de la triade d'ETFs en actions et de CSBGC0 affiche sans guère de surprise un très beau résultat. Le ratio de Sharpe est supérieur à celui de la triade elle-même et à celui des portefeuilles analysés. C'est le meilleur 60/40 que nous avons testé. Il nous réconcilie quelque peu avec les résultats médiocres obtenus avec tous les autres. Et ils étaient nombreux.
On va voir à présent si ce portefeuille se comporte mieux lorsqu'on ajuste quelque peu les pondérations. On sort donc du cadre strict du 60/40, mais cela va nous donner un éclairage différent.
Pondérations statiques alternatives
On a déjà abordé brièvement plus haut les portefeuilles 70/30 et 50/50. On va passer en revue ici plusieurs allocations alternatives avec une part plus ou moins prononcée d'actions. Evidemment plus cette dernière est élevée, plus le CAGR le sera. Mais qu'en est-il du ratio de Sharpe ?
Constats
- Le 70/30 affiche un ratio de Sharpe identique au 60/40, mais avec un CAGR légèrement plus élevé ce qui est logique, vu la part en actions.
- Le 50/50 possède lui aussi un ratio de Sharpe égal, mais cette fois avec un CAGR plus bas. Là aussi, c'est logique.
- Le point de bascule pour le ratio de Sharpe se situe au-delà des seuils de 50% et 70% en actions.
- Les portefeuilles 40/60 et 80/20 ferment la marche du classement, même si la différence en termes de ratio de Sharpe est faible.
- Les pondérations ont un impact bien moindre sur le ratio de Sharpe que ne l'a le choix judicieux des sous-classes d'actifs.
On a beau vouloir réinventer la roue, le portefeuille idéal demeure encore et toujours autour de ces fameux 60/40. Les investisseurs avec une plus grande tolérance au risque peuvent jeter leur dévolu sur le 70/30, les moins téméraires sur le 50/50 et tous les autres sur le 60/40 original.
60/40 dynamique
On a évoqué plus haut le principe de l'allocation dynamique. Pour rappel, celle-ci permet d'ajuster les pondérations des actifs en fonction des conditions de marché. Un moyen relativement facile de le faire, et que j'explique dans mon livre, c'est d'utiliser la volatilité inverse. Dans l'exemple ci-dessous, j'ai utilisé celle à 60 jours. Afin de simplifier l'analyse, je limite cette fois le backtest à une allocation basique SPY/TLT. Ceci nous suffit pour déterminer la pertinence de l'allocation à dynamique.
Les résultats, bien qu'assez proches de l'allocation statique, sont quelque peu décevants. Ce système fonctionne pourtant assez bien avec d'autres stratégies, en particulier l'allocation adaptative, que je mentionne dans mon ouvrage, et qui implique plus de classes d'actifs.
Encore une fois, on a beau essayer de prendre tous les chemins possibles, on finit toujours par revenir sur le 60/40 classique inventé, il y a 3/4 de siècle déjà.
L’allocation en fonction de l’âge
L'allocation selon la règle "votre âge en obligations", que nous avons évoquée plus tôt, est une approche largement adoptée par de nombreux investisseurs, notamment les Bogleheads. Pour rappel, comme son nom l'indique, cette approche vise à fixer la proportion d'obligations au sein d'un portefeuille, en fonction de l'âge de la personne concernée : 25% à 25 ans, 26% à 26 ans et ainsi de suite.
Les avantages de cette approche résident dans sa simplicité et sa capacité à incarner une philosophie prudente. En réduisant progressivement les allocations en actions, elle vise à protéger le capital des fluctuations des marchés, ce qui semble a priori pertinent pour les investisseurs proches de la retraite, cherchant à préserver leurs avoirs pour financer leurs besoins futurs. Cette méthode peut également offrir une certaine tranquillité d'esprit, car elle propose une stratégie claire et facile à suivre.
Cependant, l'application rigide de cette règle présente également de nombreux inconvénients. Rappelez-vous ce que disait Albert Einstein à propos de la simplicité. On va passer en revue ci-dessous chacun d'entre eux.
Caractéristiques individuelles
La règle "âge = obligations" ne tient pas compte des besoins financiers individuels, de la tolérance au risque ou des objectifs de chacun. Une personne peut posséder des ressources financières adéquates pour rester investie en actions même dans la cinquantaine ou la soixantaine. Elle peut aussi avoir pour objectif de maximiser son patrimoine à la retraite, en pensant à ses héritiers.
Cette stratégie repose sur l'idée en partie erronée qu'avec l'âge, la tolérance au risque d'une personne diminue. Néanmoins, au fil des années, les connaissances et l'expérience en matière d'investissement ont plutôt tendance à la renforcer. Prenons mon exemple personnel, un investisseur de 50 ans aujourd'hui, ayant commencé à investir à l'âge de 25 ans, soit en 2000. Si j'avais suivi la règle "âge = obligations", j'aurais dû consacrer 75% de mon pécule aux actions, à l'aube de la "décennie perdue" 2000-2009. Celle-ci a été la plus calamiteuse de l'histoire pour Wall Street, la seule ayant affiché un résultat négatif (même celle de la Grande Dépression des années 1930 s'est soldée par un retour sur investissement positif grâce aux dividendes). À 25 ans, on n'est pas armé pour cela. On n'y est jamais vraiment certes, mais l'expérience permet de passer le cap un peu plus sereinement. Aujourd'hui, au contraire, si je suivais cette règle stupide, je devrais allouer 50% de mon portefeuille aux obligations, dans un contexte qui ne leur est pas des plus favorables, et alors que je sais beaucoup mieux gérer les pertes qu'à mes débuts. De plus, si tout se passe bien, il me reste une bonne trentaine d'années de vie, ce qui représente une période plus longue encore que les 25 années qui se sont écoulées depuis mes débuts en bourse.
La formule "âge = obligations" me rappelle celle employée par certains coureurs amateurs pour établir leur zone d'entraînement en fonction de la fréquence cardiaque maximale (220 - âge). Cette approximation grossière ne prend pas en compte la génétique de l'individu, ni son niveau de condition physique. Les athlètes expérimentés et les professionnels savent que cette martingale est trop approximative pour fonctionner correctement. Ils préfèrent se fonder sur le seuil lactique, un indicateur qui reflète leurs caractéristiques individuelles et leur permet de s'entraîner à l'intensité appropriée.
Il en va de même en matière d'investissement : la règle "âge = obligations" est une approximation grossière qui ne prend pas en compte les spécificités individuelles des investisseurs. Tout comme un coureur peut affiner sa zone d'entraînement en fonction de son seuil lactique, un investisseur doit adapter son allocation d'actifs en fonction de sa situation personnelle, son expérience, ses objectifs financiers et, comme on va le voir à présent, selon les conditions du marché.
Conditions de marché
L'autre gros écueil de l'allocation en fonction de l'âge, c'est que cette stratégie fait totalement abstraction des conditions de marché. Ce dernier, se fout pourtant totalement de l'âge que vous avez. Vous pourriez avoir 20 ans en 1980 et être alloué à seulement 20% en obligations, à l'aube de quatre décennies qui leur sont archi-favorables. À l'inverse, vous pourriez avoir 70 ans en 2009 et être investi seulement à 30% en actions, à la veille du plus long bull market de l'histoire.
S'appuyer sur une règle aussi rigide comporte le risque de se retrouver en décalage avec la dynamique des marchés, surtout dans le contexte actuel de rendements obligataires inférieurs à leur moyenne historique. On a tendance à oublier que les obligations peuvent aussi perdre de la valeur, en particulier lorsque les taux d’intérêt augmentent. Cette situation peut influencer directement la rentabilité et les risques du portefeuille. Prenons l'exemple des bons du Trésor US à 10 ans, qui sont pourtant considérés comme un actif sûr. Entre 2021 et 2022, ils ont perdu 30% de leur valeur en dollars. Quant aux obligations à long terme (20 ans et plus), elles ont réalisé en 2022 une performance encore plus déplorable que celle des actions (-30% contre -20% en USD).
Un concept qui ne tient théoriquement pas la route
Comme on l'a vu plus haut, le ratio de Sharpe est à son maximum lorsque les obligations représentent entre 30% et 50% du portefeuille. Cela signifie qu'en suivant à la lettre la règle "votre âge en obligations", vous vous retrouvez, au-delà de 50 ans, avec un ratio de Sharpe en déclin. Or, comme je l'explique dans mon livre, ce ratio est directement corrélé au taux de retrait sans risque, qui représente la part de votre capital que vous pouvez consommer en étant certain de ne pas finir à la rue. Donc, à un âge où justement vous allez commencer à ponctionner votre capital pour prendre votre retraite, votre taux de retrait n'est déjà plus optimal. Pire, en continuant à suivre cette règle arbitraire, il diminuera encore et encore, avec comme fâcheuse conséquence de diminuer vos revenus ou carrément de provoquer votre banqueroute.
Ainsi, plus le portefeuille des retraités comptent d'obligations, plus ils ont de risques de manquer d’argent à la retraite. En poussant la règle "âge = obligations" à l'extrême, Jeanne Calment aurait dû vendre à découvert des actions représentant 20% de la valeur de son portefeuille afin d'acheter une quantité équivalente en obligations. Bien que cette stratégie puisse faire sens dans un marché baissier, elle comporte des risques significatifs durant un marché haussier : en 2009 et 2013, les actions ont bondi de plus de 26%, respectivement 32%, tandis que les obligations perdaient 11%, respectivement 9%. Heureusement pour elle, Jeanne Calment était "déjà" décédée à ce moment-là...
Dans la réalité, ça ne fonctionne pas non plus
Les fonds à date cible représentent une application concrète et commerciale de la règle "âge=obligations". Ces fonds sont automatiquement adaptés au fil des ans à mesure qu'ils approchent d'une date spécifique (qui peut être le début de la retraite). L’allocation d’actifs y évolue progressivement vers des choix d’investissement plus conservateurs, réduisant ainsi le risque de pertes à l’approche de la date prévue. Or, ces fonds nécessitent 61 % d’épargne en plus pour assurer une retraite par rapport à une stratégie 100% en actions.
En fait, une allocation en actions uniquement permet d'obtenir de meilleurs résultats que les stratégies équilbrées basées sur l'âge, même durant la retraite, y compris jusqu'à 90 ans ! Mes propres backtests, qu'on verra plus loin, confirment en effet que le 100% actions s'en sort mieux que "l'âge en obligations", avec une petite précision néanmoins : il faut que le retrait du capital ait débuté à 65 ans ou moins. En principe c'est le cas, mais sait-on jamais. Dans le cas peu probable où la ponction de la fortune débute à 70 ans et plus, il vaut mieux privilégier un portefeuille équilibré comme le 60/40 ou le 50/50. Même dans cette situation, on demeure très loin des recommandations de la règle "votre en âge en obligations".
Faites ce que je dis, pas ce que je fais
Paradoxalement, alors qu'il recommandait la règle "Votre âge en obligations", John C. Bogle ne l'appliquait pas pour ses propres avoirs. Il a conservé une allocation 60/40 jusqu'à ses 86 ans avant de passer à du 50/50. À cet âge là pourtant, selon la règle, son portefeuille aurait dû pourtant compter près de 90% d'obligations!
Cela indique qu'en dépit de son plaidoyer pour une approche prudente et simpliste de l'investissement, il percevait peut-être un équilibre plus nuancé entre croissance et protection du capital, adapté à sa situation personnelle, ses objectifs financiers à long terme et les conditions de marché. En d'autres termes, sa stratégie illustre un concept fondamental : les meilleures pratiques en matière d'investissement doivent être flexibles et adaptées à l'individu, plutôt que de suivre aveuglément des règles générales.
Taux de survie du capital
Pour mettre tout ceci en lumière, on va s'intéresser à une notion essentielle en gestion du patrimoine : le taux de survie du capital. Celui-ci fait référence à la probabilité qu'un capital investi reste à un niveau suffisant pour financer les besoins financiers d'une personne sur la durée de sa retraite. Plus précisément, il s'agit de mesurer la capacité d'un portefeuille à générer des revenus adéquats (renchérissement compris), tout en préservant le capital initial pour une utilisation future.
Le calcul du taux de survie du capital prend en compte la durée de la retraite, le taux de retrait (la proportion de capital que l'on prélève chaque année pour couvrir les dépenses), le renchérissement et le taux de rendement que le portefeuille est susceptible de générer. Si le taux de retrait est trop élevé par rapport au rendement du capital, il augmente le risque d'épuisement des ressources financières. À l'inverse, un taux de retrait modéré, combiné à des rendements soutenus, peut permettre de maintenir le capital à un niveau sain au fil du temps.
Pour l'analyse, on va utiliser les données du marché américain, allant de 1927 à 2023. Il manque malheureusement celle des marchés suisses et européens, mais en contrepartie on a droit à un historique très important, qui couvre les évènements boursiers majeurs de la finance moderne. Cela nous donne l'assurance que nos modèles de portefeuilles sont confrontés aux pires conditions connues possibles.
Pour le backtest, on crée un portefeuille en fonction d'une allocation d'actifs prédéfinie, puis on regarde son évolution tout en y prélevant de l'argent, selon un taux de retrait spécifique. Ce processus débute en 1927 et se poursuit jusqu'à la fin de la durée de retrait prévue (par exemple 30 ans), après quoi il recommence en 1928, et ainsi de suite. Ensuite, on regarde combien de fois le capital a réussi à survivre malgré les retraits successifs. Si le taux de réussite atteint 100 %, cela signifie que, dans chaque scénario envisagé, le portefeuille a réussi à se maintenir, même au cours des périodes les plus difficiles, telles que la Grande Dépression, les années 1970 et 2000. En revanche, un taux de réussite inférieur indique qu'il existe un risque associé à une retraite avec cette allocation d'actifs, en tenant compte du taux de retrait spécifié.
Dans la colonne de gauche du tableau ci-dessous on trouve, comme d'habitude, nos différents portefeuilles. Au sommet, on trouve l'âge de début de la phase de retrait, allant d'une indépendance financière acquise très tôt (45 ans), aux retraites plus classiques (60-65 ans). J'ai ajouté également deux colonnes (70-75 ans) dans le cas très rare d'une ponction tardive de la fortune. Le taux de retrait du capital, qui figure juste dessous, est adapté en fonction de l'âge de départ à la retraite. Plus celui a lieu tôt, plus la durée de la phase de retrait est importante et moins le taux de retrait doit être élevé. Afin de donner le plus de chances de réussite à l'ensemble des portefeuilles testés, j'ai utilisé des taux de retraits plus conservateurs que ceux référencés dans mon ouvrage. En orange, on trouve le résultat l'allocation recommandée par la règle "âge=obligations".
On part du principe que le titulaire du portefeuille vit jusqu'à 85 ans. Le modèle peut s'appliquer également dans le cas d'un décès "désiré" ultérieur à cet âge de référence. Si on veut prendre une marge de sécurité de cinq ans par exemple, soit jusqu'à 90 ans, cela signifie que la phase de retrait est d'autant plus longue. Dans ce cas, il faudra se référer, dans le tableau ci-dessus à la colonne de l'âge de retraite auquel on soustrait les années supplémentaires désirées. Exemple pour une retraite à 65 ans avec vie jusqu'à 90 ans au lieu des 85 prévus : 65-(90-85)=60. Dans ce cas on utilise la colonne des 60 ans pour déterminer quel est le portefeuille le plus adéquat pour tenir de 65 à 90 ans.
Pour le backtest, on part aussi du principe que l'allocation demeure fixe une fois la retraite prise. Les portefeuilles mentionnés dans la première colonne sont ainsi conservés tels quels jusqu'à 85 ans. Par exemple, avec un âge de retraite à 60 ans, un portefeuille à 100% en actions, conservé à l'identique jusqu'à la fin (85 ans), à 100% de chances de survivre avec le taux de retrait utilisé (3.6%). On discutera plus loin de ce qu'il se passe si l'investisseur adapte son allocation en cours de route.
Constats
- Malgré l'utilisation de taux de retraits conservateurs, la règle "Votre âge en obligations" comporte un petit risque de banqueroute pour toutes les retraites ayant débuté avant 70 ans. Le risque est assez faible (<5.2%), mais les conséquences sont évidemment très importantes.
- Il n'y a que dans les rares cas d'une retraite très tardive, à 70 ans et au-delà, que la règle selon l'âge affiche un taux de survie de 100%. Toutefois, toutes les autres allocations avec une part en actions de 60% et moins présentent également une réussite de 100%, avec, évidemment, un potentiel de gains plus important.
- Le 60/40 n'est pas exempt de tous reproches. Il atteint en effet les 100% de réussite uniquement dans les cas d'une retraite très tardive. Néanmoins, les résultats sont meilleurs que "l'âge en obligations", surtout pour les retraites à partir de 55 ans.
- le 70/20, même s'il n'est pas parfait, est celui qui s'en sort le mieux dans la plupart des situations, ce qui est logique vu qu'il affiche le meilleur CAGR parmi les portefeuilles avec le meilleur ratio de Sharpe.
- Le 100% SPY est systématiquement meilleur que "l'âge en obligations", sauf pour les retraites très tardives (70 ans et plus).
- Il existe un point de bascule pour toutes les retraites débutant à 70 ans et au-delà. Dès ce cap franchi, les approches comprenant au moins 40% d'obligations deviennent plus sûres que celles à forte composante en actions. Ces résultats sont parfaitement logiques et cohérents avec les conclusions de J. Siegel dans "Stocks for the Long Run" : un horizon de placement d'une vingtaine d'années est nécessaire pour que la volatilité des actions passe en dessous de celle des obligations.
Le problème de "l'âge en obligations" provient surtout de l'allocation initiale, soit celle au début de la phase de retrait. La part en actions y est beaucoup trop faible pour que le portefeuille survive systématiquement, durant au moins vingt ans. Le fait que la part en obligations progresse par la suite, avec l'âge, est nettement moins pénalisant. On obtient en effet pratiquement les mêmes chiffres que ci-dessus si on continue à baisser la part en actions durant la phase de retrait. C'est logique puisque ceci permet d'amoindrir la volatilité du portefeuille à mesure qu'on s'approche de la "ligne d'arrivée". Toutefois, pour que le capital y survive, il faut commencer avec une part obligataire nettement plus basse.
Si on veut vraiment s'en tenir à une formule mieux vaut utiliser : âge - 30 = obligations. Néanmoins, encore une fois, cette règle ne tient compte ni de vos caractéristiques individuelles, ni du marché. De plus, comme on l'a vu ci-dessus, une formule de ce type n'est pas nécessaire, puisqu'une allocation fixe à vie, avec un taux prépondérant d'actions, affiche un taux de survie de 100%, pour toutes les retraites anticipées et normales (avant 70 ans).
Admettons pour finir qu'on soit un Boglehead entêté (si j'ose le jeu de mot) et qu'on souhaite à tout prix suivre la règle "âge=obligations". Le seul moyen pour assurer totalement survie du capital, c'est de réduire encore plus le taux de retrait (qui a déjà été fixé de manière très conservatrice).
Prenons l'exemple d'un individu de 65 ans, fraichement retraité, nécessitant 50'000 balles par année pour vivre. Conformément à la fameuse règle, son portefeuille comporte 65% d'obligations. Pour atteindre 100% de chances de survie du capital, le taux de retrait doit être ramené à 3.5%. Cela signifie que son capital initial doit se monter à 1'428'571 balles. Avec un portefeuille 70/30, son taux de retrait serait de 4.1%, soit un capital de départ nécessaire de "seulement" 1'219'512 balles. Sa retraite à la sauce "âge=obligations" lui coûte donc 209'059 balles plus cher. Il faut de plus (et surtout) ajouter à ce montant le cumul des rendements déficitaires dus à son approche durant la phase d'accumulation du capital par rapport à une stratégie à forte composante en actions. Il n'est dès lors pas étonnant que l'étude que nous avons mentionné plus haut affirme que cette stratégie nécessite 61% d'épargne en plus pour assurer le même objectif.
Moralité
Plutôt que de suivre aveuglément une règle rigide, incohérente et inefficace, il est préférable de s'en tenir à une allocation fixe, avec une forte teneur en actions. Un portefeuille comportant uniquement des actions peut d'ailleurs faire l'affaire. Toutefois, le ratio de Sharpe est dans ce cas moins élevé que celui d'un portefeuille comportant une part minoritaire d'obligations. Comme un meilleur ratio de Sharpe implique un meilleur taux de retrait sans risque, mieux vaut privilégier un portefeuille comportant environ 75% d'actions (sauf dans le cas d'une retraite très tardive). J'arrive ainsi par un biais détourné aux mêmes conclusions que dans mon livre.
Au-delà du 60/40
On a testé plusieurs approches, en faisant varier de différentes manières les pondérations des actions et des obligations. On a vu que l'allocation dynamique et l'allocation en fonction de l'âge n'amènent aucune plus-value à une allocation statique toute simple, bien au contraire. En fait, parmi tous nos backtests, les plus concluants ont été ceux où nous avons joué avec les sous-classes d'actifs plutôt qu'avec les pondérations.
Pour aller plus loin encore, il faut aller chercher la solution à l'extérieur du système. Le 60/40 fonctionne bien parce qu'il associe deux actifs affichant une corrélation nulle voire négative. Dans notre article sur l'immobilier, nous avons vu que l'immobilier suisse était lui aussi peu corrélé aux actions. Cela tombe bien, car il l'est également avec les obligations. Voilà donc un candidat très intéressant pour diversifier un portefeuille 60/40.
Si on reprend notre meilleur portefeuille (association la triade d'ETFs en actions avec CSGC0) et qu'on y ajoute l'immobilier helvétique, avec l'ETF SRFCHA, on obtient des résultats encore plus probants. Les backtests ci-dessous remontent jusqu'en 2011, la limite étant fixée par SRFCHA. J'en ai profité pour tester quelques portefeuilles avec TLT en plus, étant donné son potentiel intéressant sur le plus long terme.
Constats
- Le meilleur portefeuille testé jusqu'ici comprenant la triade d'ETFs à 60% avec 40% de CSBGC0 finit en queule de peloton.
- À l'inverse, à la première place, on trouve étonnament un des meilleurs PF testés dans le dernier article de cette série. Il ne comporte pas du tout d'obligations, puisqu'elles sont entièrement remplacées par l'immobilier. Il s'agit donc d'une forme non conventionnelle de 60/40. Concernant les résultats, attention toutefois. La période de backtest est relativement courte. Il n'y a pas eu de gros bear market et les taux d'intérêts très bas, nuls voire négatifs depuis 2008 ont soufflé en faveur de l'immobilier au détriment des obligations. C'est assurément une bonne stratégie mais la première place est peut-être usurpée, en tout cas sur le plus long terme.
- Du point de vue du ratio de Sharpe et du CAGR, la différence de résultats est minime entre les stratégies allouant 40% à immobilier, 30% à l'immo et 10% aux obligations ou encore 20/20.
- Scinder les obligations en deux (TLT+CSBGC0) donne des résultats légèrements meilleurs pour le CAGR, avec un ratio de Sharpe plus ou moins identique. Là aussi la différence demeure toutefois minime par rapport à CSBGC0 seul.
Réflexion : deux points de vue possibles
1) Les obligations sous-performent depuis la crise financière de 2008, à cause des politiques extrêmement accomodantes des banques centrales. Sur une telle durée, on ne peut pas parler de cause conjoncturelle mais structurelle, un peu comme celle qui a vu l'or s'envoler depuis le début des années 1970 suite à l'abandon de l'étalon or. Les obligations ne vont plus jamais performer aussi bien qu'avant les années 2000. Les banques centrales, échaudées par 2008, faciliteront le crédit aussi souvent que possible, quitte à provoquer un peu d'inflation. Elles relèveront leur taux si besoin, au minimum et les rebaisseront aussi vite que possible. La croissance anémique à cause du vieillissement de la population le leur permettra. Dans ce cas, mieux vaut laisser tomber les obligations et se focaliser sur l'immobilier.
2) La cause n'est pas structurelle, mais conjoncturelle, même si les effets se font ressentir sur plusieurs décennies. Elle est provoquée par deux crises successives violentes sur les marchés boursiers (2000 et 2008), qui ont amené les taux si bas qu'il a fallu avoir recours, sur la durée, à des politiques expansionnistes non conventionnelles. On s'est retrouvé ainsi en 2020 dans une situation similaire à celle des années 1940, où les taux étaient très bas, également sur une longue durée. S'en est suivie une très longue phase de hausse de taux et de croissance (Trente Glorieuses) qui était largement favorable aux actions. La performance des obligations est restée assez modeste jusqu'au début des années 1980. Cela s'explique à cause des taux d'intérêts relativement faibles, surtout jusqu'à la fin des années 1960. Cela s'explique aussi par les hausses de taux elles-mêmes qui ont fait chuter le prix des obligations. Au début des années 1980 en revanche, le timing était parfait : les taux étaient à leur plus haut, offrant des coupons très généreux. De plus, comme ils commençaient à décliner, le prix des obligations grimpait en même temps. Si les choses devaient se reproduite à l'identique, on aurait devant nous 40 années de sous-performance pour les obligations. Ce n'est pas rien à l'échelle d'un individu. Mais rien ne peut certifier que ça durera aussi longtemps. Cela pourrait être plus long du fait qu'on est partis de taux plus bas encore. Mais cela pourrait être plus court du fait que les taux sont remontés nettement plus vite. Aujourd'hui, on se situe à un taux similaire aux années 1960. On a pris donc 20 ans en cinq ans si j'ose la comparaison. Les taux ne sont pas encore alléchants, mais ils sont plus corrects que ce qu'on a connu depuis 2008. De plus, les taux ne font pas tout. L'autre intérêt des obligations demeure encore et toujours leur corrélation faible (la plupart du temps) avec les actions. Panacher les obligations et l'immobilier paraît donc une approche pragmatique.
Moralité
Comme on ne peut savoir de quoi le futur sera fait, une stratégie raisonnable consiste à mixer, en plus des 60% en actions, 20% SRFCHA, 10% TLT et 10% CSBGC0, ce qui assure une diversification sur les classes et sous-classes d'actifs. Même sur les 13 dernières années, cette stratégie est à peine moins bonne que la mailleure du point de vue du CAGR et du Sharpe. Sur le plus long terme, il y a de fortes chances qu'elle soit même gagnante.
Conclusion
Dans cette analyse détaillée, nous avons examiné l'évolution de la stratégie 60/40 depuis ses débuts, qui s'inscrivent dans les contributions fondamentales des pionniers Benjamin Graham, Harry Markowitz et William Sharpe. Bien qu'elle ait longtemps prévalu en tant que norme, les changements économiques contemporains, marqués par des taux d'intérêt bas et des corrélations erratiques entre actions et obligations, remettent aujourd'hui en question sa pertinence.
Nous avons abordé des alternatives comme les portefeuilles 70/30 et 50/50, qui offrent un équilibre différent entre croissance et défense. Nous avons souligné que le 60/40 se cache derrière beaucoup de portefeuilles récents à la mode, sous d'autres noms. Nous avons vu encore que les stratégies d'allocation dynamiques ou qui s'adaptent en fonction de l'âge de l'investisseur laissent à désirer. Nous avons en revanche montré l'importance d'une sélection judicieuse des sous-classes d'actifs. Nous avons également émis des pistes pour aller au-delà d'un portefeuille 60/40, en y ajoutant d'autres actifs, en particulier l'immobilier.
Concernant la part optimale en actions au sein d'un portefeuille, nous avons vu qu'elle se situe :
- du point de vue du ratio de Sharpe : entre 50% et 70% selon la propension au risque
- du point de vue du taux de survie du capital, avec une retraite avant 70 ans : entre 75% et 100%, selon la propension au risque, idéalement 75% du point de vue du ratio de Sharpe
Si on met ceci ensemble, on peut établir un sweet spot autour de 70%-75% d'actions qui peut servir de référence pour la constitution de portefeuilles individualisés, en fonction de la situation personnelle et de la propension au risque. J. Siegel arrive à taux idéal de 68% d'actions pour une durée d'investissement 30 ans dans "Stocks for the Long Run". On est donc parfaitement dans le tir. Quant au légendaire B. Graham, il écrit dans "L'investisseur intelligent" qu'un portefeuille ne devrait jamais avoir moins de 25 % ou plus de 75 % de ses fonds en actions ordinaires. On se situe donc dans la tranche supérieure de cette fourchette très large.
Un portefeuille 60/40 optimisé, comportant la triade d'ETFs, 20% d'obligations (CSBGC0 avec ou sans TLT) et 20% de SRFCHA, devrait également pouvoir faire l'affaire. Ses excellents résultats peuvent en effet compenser son allocation moindre en actions par rapport à un portefeuille 70/30 basique. Au vu du manque de données historiques des ETFs concernés, je n'ai malheureusement pas pu tester le taux du survie de ce portefeuille. Toutefois, les résultats entre 2011-2024 parlent en faveur du portefeuille 60/40 optimisé face à une stratégie 70/30 basique :
- SPY 70% + TLT 30% : CAGR = 10.85% / ratio de Sharpe = 0.95
- Triade 60% + 20% CSBGC0 + 20% SRFCHA : CAGR = 9.99% / ratio de Sharpe 1.1
Un ratio de Sharpe supérieur signifie qu'à risque égal, le portefeuille optimisé 60/40 surclasse la stratégie 70/30 basique. Cela signifie aussi que le taux de retrait possible est plus important ou, si celui-ci demeure identique, que le taux de survie du portefeuille est plus élevé.
Pour en avoir une idée chiffrée, j'ai backtesté une variante du 60/40 optimisé, en utilisant TLT à la place de CSBGC0 et VNQ (immobilier US) à la place de SRFCHA. Ce faisant, j'obtiens un taux de survie moyen (départ à la retraite à 45, 50, 55, 60 ou 65 ans) de 98.7%, Celui-ci est de 97.46% pour le 60/40 classique et de 99.54% avec le 70/30. Ce n'est pas encore parfait, mais nous avons vu, dans cet article, ainsi que dans celui consacré à l'immobilier, que SRFCHA et CSBGC0 permettent d'obtenir des portefeuilles affichant de meilleurs ratios de Sharpe que VNQ et TLT. Les chances sont donc très élevées pour que le portefeuille 60/40 optimisé passe le test à tous les coups.
Quoi qu'il en soit, ce qui importe c'est que le 60/40, initié il y a déjà 75 ans par les légendes précitées, constitue encore et toujours un excellent moyen de viser la rentabilité tout en se préservant des riques. En demeurant dans le cadre général de cette allocation type, il est possible de l'optimiser en ajustant quelque peu les pondérations prévues, et surtout de jouer avec les sous-classes d'actifs, voire de la compléter avec d'autres classes d'actifs.
L'approche doit rester flexible et personnalisée, permettant aux investisseurs de naviguer avec succès dans le paysage financier. Cela souligne l'importance de la diversification et d'une évaluation régulière de l'allocation d'actifs pour s'assurer qu'elle répond aux aspirations et aux besoins uniques de chacun.
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Bonjour,
Bravo pour ce très long papier. Super analyse à valeur ajoutée.
Merci
Merci Mik