Qu’est-ce qui fonctionne à Zurich : le rendement en dividendes (“Yield”)

Après avoir analysé le PER, passons aujourd'hui à son petit-frère, le rendement en dividendes, ou plus communément "Yield" en anglais. Je dois vous avouer que passer ce ratio sous la loupe au sein du marché suisse me fait me sentir comme un mioche pourri gâté à qui on offre la dernière Playstation. J'ai tant lu et écrit sur ce sujet depuis le lancement de ce site en 2010 que j'ai l'impression que plus rien ne peut encore me surprendre.

Je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises de l'exemple mythique de Bank of America (NYSE: BAC) durant la crise des subprimes. Pour ceux qui auraient raté un épisode, voilà le topo. La banque américaine affichait en juin 2008 un rendement supérieur à 10%. Le cours avait pratiquement perdu la moitié de sa valeur depuis les plus hauts atteints près de deux ans plus tôt. L’investisseur ayant acheté du BAC à ce moment-là, croyant faire une bonne affaire, se retrouvait neuf mois plus tard avec un titre qui ne payait presque plus aucun dividende et dont la valeur avait été divisée encore par 3.5 depuis l’achat.

C'est ce qu'on appelle un piège à rendement ou "Yield Trap" en anglais. On avait vu le phénomène équivalent pour le PER ("Value Trap") lors de notre analyse sur le marché français.

Yield Trap - exemple de BAC

Date Dividende Cours Rendement
juin 2008 0.64 23.87 10.7%
décembre 2008 0.32 14.08 9.1%
mars 2009 0.01 6.82 0.6%

BAC est loin d'être une exception. Eastman Kodak et General Motors figuraient en 2002 parmi les "Dogs of the Dow" (titres du Dow Jones qui paient les plus gros dividendes). Leur histoire s'est encore plus mal terminée puisqu'ils ont tous deux fait faillite quelques années plus tard.

Tout ça pour vous dire que se focaliser uniquement sur les hauts rendements en dividendes, ça peut être une très mauvaise idée. C'est en tout cas ce que je vous écris depuis presque 15 ans. Pourtant, quelque chose me titille au fond des tripes : et si je me trompais, en tout cas pour la Suisse ? Après tout, les résultats pour le PER sur le marché helvétique sont étonnamment bons, alors pourquoi pas le Yield ? Le dividende n'étant rien d'autre qu'une part du bénéfice versé l'actionnaire, ce qui fonctionne pour l'un doit aussi marcher pour l'autre, non?

Le rendement en dividendes

Le rendement en dividendes est encore plus facile à calculer que le PER. On divise simplement le dividende annuel versé par le cours de l'action.

S'il est versé trimestriellement, comme aux USA par exemple, on multiplie le dernier dividende par quatre. On peut aussi utiliser la variante des douze derniers mois roulants. Je préfère toutefois celle qui consiste à annualiser le dernier dividende versé. Ceci donne une image plus exacte de ce que l'investisseur va toucher durant les prochains mois.

Pour le backtest, les actions ont été classées du rendement le plus petit au plus grand, puis réparties en quintiles. Le processus a été reconduit tous les douze mois depuis 2004 et la performance de chaque quintile analysée.  

Marché global

Rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF)

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Les titres qui affichent les meilleurs rendements en dividendes ont tendance à faire mieux que le marché sur la période analysée (11.71 vs 8.47). À l'inverse, ceux qui sont le moins généreux pour leurs actionnaires sous-performent assez nettement par rapport au marché (3.56 vs 8.47). Ce résultat est intéressant et asez proche de ce qu'on avait vu pour le PER en Suisse. La seule différence notable se trouve au niveau du 4e quintile qui est légèrement en-dessous du 3e. Ce dernier n'est d'ailleurs pas si éloigné 5e quintile (10.63 vs 11.71).

Le résultat est donc un peu moins propre qu'avec les bénéfices, puisqu'on ne trouve pas cette fois de progression parfaite à travers les quintiles.

5e quintile (Yield le plus élevé), 1er quintile (Yield le plus bas) et marché suisse (en noir)

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Le dernier quintile affiche une jolie rentabilité annuelle, avec 11.71%. C'est très bon pour une stratégie aussi simple. Mais alors... Je me serais fourvoyé pendant toutes ces années ? Pas si vite. Continuons d'abord notre analyse.

Comparaison avec les pairs

Le backtest du PER avec les pairs, au sein des industries, avait donné des résultats à pendre avec quelques pincettes. Les PERs les plus bas vis-à-vis des pairs avaient certes tendance à surperformer, mais la progression à travers les quintiles était moins régulière. On trouve pour le rendement en dividende un résultat qui va dans le même sens, mais avec une particularité supplémentaire : le meilleur quintile est le troisième. Autrement dit, les sociétés qui paient des dividendes modérés par rapport à leurs concurrents, obtiennent la meilleure performance en bourse.

Yield au sein des industries  : rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF) 

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Comme pour le PER, nous devons rester quelque peu circonspects vis-à-vis de ce résultat en raison de la relative petite taille du marché helvétique, et a fortiori de ses industries. Gardons toutefois cette image dans un coin de notre tête. On en reparlera un peu plus tard.

Big et Mid-Caps

Le backtest du rendement en dividendes pour le grosses et moyennes capitalisations nous donne des résultats encore plus étranges qu'avec le PER. Là aussi on a un problème de taille d'échantillon, puisque chaque quintile ne comporte qu'une dizaine de sociétés.

Rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF)

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On remarque néanmoins sur le graphique ci-dessus que parmi les grosses et moyennes sociétés, ce sont celles qui paient des dividendes modérés (2e et surtout 3e quintile) qui ont le plus performé en bourse. Cela nous rappelle la comparaison au sein des industries.

Small, Micro et Nano-Caps

En toute logique, la situation devrait être plus claire pour les plus petites capitalisations. C'est en tout cas ce que l'on avait vu avec le PER.

Pourtant, on retrouve le même phénomène qu'avec les entreprises de plus grosse taille et qu'avec la comparaison au sein des secteurs : le troisième quintile passe devant tout le monde. Certes, le 5e quintile affiche un joli résultat, avec 12.71%, mais les dividendes modérés font mieux encore, avec 13.29%.

Rentabilité annuelle en % par quintile depuis 2004 (en CHF)

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Cette fois, l'excuse de la taille de l'échantillon ne tient plus la route, puisque chaque quintile comporte trois à quatre fois plus de sociétés que dans l'analyse avec les Big et Mid Caps

Alors, 3e ou 5e quintile ?

On a vu qu'en prenant l'intégralité du marché, les rendements les plus élevés donnaient la meilleure performance boursière. Mais les rendements modérés, avec le 3e quintile, se situaient tout juste derrière. Et puis, chaque fois qu'on a commencé à descendre d'un niveau, au sein des industries, parmi les grosses et moyennes capitalisations ou encore parmi les plus petites entreprises, les dividendes modérés fonctionnaient mieux.

Cela donne l'impression qu'il y a une autre variable en jeu. Depuis le début de l'aventure dividendes.ch, quand j'écris qu'il faut privilégier les dividendes modérés, j'ajoute en effet toujours une condition : la croissance. Les sociétés qui versent de juteux dividendes peuvent difficilement se permettre de les augmenter, au contraire de celles qui demeurent raisonnables par rapport au paiement aux actionnaires.

Si on ajoute le paramètre de croissance des dividendes à celui du rendement, on obtient une image différente :

Depuis 2004 CAGR MaxDD STD Sharpe Correl. Beta Alpha
Rendements modérés et croissants (industrie) 15.72 -41.81 17.5 0.84 0.62 0.72 12.81
Hauts rendements croissants (marché global) 10.66 -56.15 16.76 0.61 0.72 0.8 7.59

À noter que dans les deux backtests ci-dessus, j'ai comparé les approches qui fonctionnaient le mieux pour chaque stratégie : les plus hauts rendements croissants dans le marché global suisse, vis-à-vis des rendements modérés croissants au sein des industries. Ceci est conforme à ce que l'on a vu dans le 1er graphique (le 5e quintile est le plus performant), et le 3e graphique (le 3e quintile est le plus performant). À noter que si on avait pris des dividendes modérés et croissants dans le marché global, on aurait aussi battu les hauts rendements croissants (11.77% vs 10.66%).

Critères de croissance du dividende utilisés :

  • croissance annuelle moyenne sur 5 ans > 2%
  • Croissance des 12 derniers mois par rapport aux 12 mois précédents > 6%
  • Croissance du dernier semestre par rapport au même semestre il y a un an > 6%
  • Croissance de la dernière année par rapport à l'année précédente > 0%

On en déduit que :

  • Les dividendes modérés et croissants sont plus rentables que les hauts rendements seuls (1er graphique en début d''article)
  • Les dividendes modérés et croissants sont plus rentables que les hauts rendements croissants
  • Les hauts rendements croissants sont moins rentables que les hauts rendements seuls (cela peut s'expliquer du fait que continuer à augmenter un dividende qui est déjà très élevé peut prétériter les investissements dans la société et son endettement)
  • Les dividendes modérés et croissants sont moins risqués que les hauts rendements croissants (perte maximale, beta et corrélation au marché moins élevés)
  • Les ratios bénéfices/risques (Sharpe et Alpha) sont meilleurs pour les dividendes modérés et croissants que pour les hauts rendements croissants

Conclusion

En Suisse, nous avons vu qu'une stratégie toute simple, visant les hauts rendements en dividendes donnait de bons résultats. Toutefois, les dividendes modérés, sur le marché global, arrivent juste derrière. Ces derniers sont même plus efficaces, quand on se focalise sur de plus petits échantillons.

En poussant un peu l'analyse, nous avons vu qu'une autre variable importante était à prendre en compte : la croissance du dividende. Quand on le fait, les résultats deviennent sensiblement différents : les dividendes modérés et croissants sont plus rentables et moins risqués que les hauts rendements.

Avec 15.72% par an en moyenne depuis 2004, les dividendes modérés et croissants sont pour l'instant la meilleure stratégie que nous avons testée sur le marché helvétique (et nous ne sommes qu'au début de notre démarche !). C'est vraiment un très beau résultat pour une approche relativement simple.

Il est même possible d'optimiser encore ce résultat en s'assurant que les dividendes soient bien couverts par les bénéfices (croissance des bénéfices des 12 derniers mois par rapport au 12 mois précédents > 3% et croissance annuelle moyenne des bénéfices sur ces 5 dernières années > 0%). Avec ceci on fait monter la rentabilité annuelle moyenne à 19.42% !

Il y a toutefois un assez gros bémol : étant donné la taille relativement petite du marché suisse et les critères restrictifs utilisés, le portefeuille ne comporte en moyenne que quatre titres pour les dividendes modérés croissants et même moins de 3 titres pour les dividendes modérés croissants couverts par la progression des bénéfices. Ceci signifie que cette approche est difficilement utilisable dans la vie réelle. Il est nécessaire soit de l'utiliser en parrallèle à d'autres stratégies, soit d'élargir la taille de l'échantillon, en prenant en compte d'autres marchés.

À ce propos, qu'en est-il en France ? Nous verrons ceci dans notre prochain article.

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