Cet article fait suite à l’excellent article de Jérôme "Vivre exclusivement des dividendes ou bouffer son capital ?" et à la question très pertinente posée dernièrement par Laurent Martin:
"Lorsque vous estimerez venu le temps de devenir rentier (et donc d’abandonner un emploi salarié), lorsque vous jugerez les investissements effectués jusqu’à présent suffisant, comptez-vous vivre uniquement sur les revenus de ces investissements (dividendes) ou également sur le capital en entamant celui-ci? Cette seconde hypothèse est sans doute plus délicate à gérer, mais permet de se considérer comme indépendant financièrement plus tôt".
Cette question passionnante a beaucoup occupé mon esprit ces derniers jours et m’a poussé à développer ici mes réflexions en me basant sur différents scénarios envisageables.
A titre illustratif, je baserai mes exemples sur la situation de base volontairement simplifiée et les hypothèses suivantes:
- Personne (ou couple) habituée depuis longtemps à un mode de vie frugal et qui n'a besoin que de 5’000 fr par mois (60’000 fr par année).
- Les enfants ne vivent plus à la maison.
- Le portefeuille d’actions offre un rendement moyen des dividendes de 4% (une valeur élevée mais réalisable, surtout avec des titres acquis plusieurs années auparavant et qui augmentent régulièrement leurs distributions).
Version "sur le tard" et en vivant uniquement de ses dividendes
On arrête par exemple de travailler à 58 ans. Pour des raisons fiscales, le 2e et 3e pilier sont retirés entièrement sous forme de capital sur 3 ans (à chaque fois environ un tiers à 58, 59 et 60 ans) et investis en actions
A ce moment, les économies (750’000 fr) + le capital de la caisse de pension (500’000 fr) + le 3e pilier (250’000 fr) donnent une fortune totale (portefeuille) de 1.5 mio.
Toute la fortune est investie en actions, soit une rente annuelle de 60’000 fr.
Commentaire: cette version est très alléchante en termes de revenus et de sécurité, mais elle implique de travailler jusqu’à un âge assez avancé. De plus, elle offre au final "inutilement" trop de revenus, car après quelques années les dividendes auront inexorablement augmenté et la rente AVS viendra bientôt s’ajouter à ces revenus passifs déjà devenus trop élevés!
En effet, à partir de 65 ans vient s’ajouter la rente AVS de 2’370 fr (pour une personne seule) ou 3’555 fr par mois (pour un couple).
Version plus soft
A partir de la même situation de départ, on investit par exemple 1.3 mio en actions (rente annuelle 52’000 fr). Les 200’000 fr restant sont gardés de façon beaucoup plus liquide (cash, fonds monétaires, obligations de caisse,...) et servent à compléter le "salaire" si besoin ou couvrir occasionnellement des grosses dépenses (achat d’une nouvelle voiture, frais médicaux importants,...).
La partir "liquide" du portefeuille sert de coussin de sécurité, d’airbag contre les imprévus financiers.
Version "vivre uniquement de la consommation de son capital"
Fonctionnement type: consommation de 4% de son capital chaque année, sur une durée de 25 ans (par exemple un capital de départ de 1.5 mio permet de retirer 60’000 fr par année pendant 25 ans).
C’est la version proposée par de nombreux conseillers financiers et que je ne retiendrai pas ici, non seulement parce qu’elle risque de ne pas fonctionner si vous vivez encore plus de 25 ans ("risque de longévité"), mais aussi parce qu’elle n’utilise pas les possibilités fantastiques offertes par la bourse et les dividendes.
Version "diminuer son temps de travail"
Il existe ici plein de variantes possibles, par exemple diminuer son temps de travail à 50% une fois que le revenu passif de ses dividendes parvient à combler ce manque à gagner, ou diminuer son activité professionnelle petit à petit, par exemple par tranches de 20% tous les 5 ans.
Version mixte
Du genre placer la moitié de sa fortune en actions et ponctionner chaque année le reste sur son capital.
Version semi-retraite à 50 ans avec une petite activité lucrative annexe
Notre bonhomme se déclare indépendant et retire son 2e et 3e pilier. Il dispose alors de: économies 500’000 fr, 2e pilier 325’000 fr, 3e pilier 175’000 fr, soit une fortune totale de 1 mio. Ce capital est investi en actions et offre une rente annuelle de 40’000 fr.
De 50 à 65 ans, cette personne travaille quelques heures par semaine afin de gagner ce qui lui manque (environ 1’700 fr par mois dans notre exemple).
Il s’agit idéalement d’une petite activité qui lui plaît et ne l’occupe pas plus de 2 jours par semaine (par exemple du genre: aide à la vente dans une boulangerie les samedis, vendre ses confitures maison sur Internet,...).
A 65 ans vient s’ajouter la rente AVS (je ne conseille pas de l’anticiper: la réduction est en effet de 13.6% si on l’anticipe de 2 ans).
Version plus risquée mais permettant d’atteindre l’indépendance financière plus tôt
Ce scénario pourrait par exemple consister à quitter son travail à 50 ans avec une fortune de 1.1 mio. 1 mio est placé à 4% (rente annuelle est de 40’000 fr), le reste est gardé en cash.
Les 20’000 fr annuels manquant sont obtenus en vendant quelques actions de temps en temps en cas de bonne performance boursière. Le cas échéant (les mauvaises années boursières), en prélevant ce montant sur la réserve de cash.
Après quelques années déjà, l’augmentation annuelle des dividendes devrait permettre de compenser l’influence négative de la vente de cette petite part du portefeuille et de vivre uniquement de ses dividendes.
En résumé, dans ce scénario:
- Les mauvaises années boursières, on vit de ses dividendes et en puisant dans son cash.
- Les années où notre portefeuille gagne 2 ou 5%, on vend 2 ou 5% de ses actions.
Et enfin, de temps en temps, on connaîtra une année boursière exceptionnelle, au cours de laquelle notre portefeuille gagnera par exemple 20%. Ces 200’000 fr peuvent servir à remplumer notre matelas de liquidités pour de nombreuses années. Ils peuvent également être réinvestis dans des actions distribuant des dividendes de 4%, faisant passer notre rente annuelle de 40’000 à 48’000 fr.
Ce que je veux illustrer avec cet exemple, c’est que les chiffres de départ ne doivent pas être pris trop à la lettre. Les actions ne sont pas des entités statiques et l’histoire boursière nous apprend qu’autant notre portefeuille que nos dividendes sont condamnés à augmenter avec le temps.
Conclusion
En voulant à tout prix attendre d’avoir atteint les revenus passifs nécessaires (60’000 fr par an dans mon exemple) pour vivre son rêve d’indépendance financière, on se condamne à attendre plus longtemps que nécessaire pour se lancer dans cette magnifique aventure.
Qui plus est, on se retrouvera après quelques années avec une rente bien plus élevée que ce qu’il nous faut pour vivre (augmentation des dividendes, rente AVS). Autrement dit, on aura travaillé toutes ces années supplémentaires pour rien.
En osant se lancer dans l’aventure assez tôt (par exemple à 50 ans) avant d’avoir atteint la rente nécessaire pour vivre (par exemple déjà une fois qu’on touche 40’000 fr de dividendes) et en mettant un peu de cash de côté pour compléter notre rente les premières années (en cas de mauvaises performances boursières), l’histoire nous montre qu’on a toutes les chances de très bien s’en sortir.
Après déjà 5 ou 10 ans, l’augmentation de la taille du portefeuille et des dividendes devraient nous permettre de bien vivre sans plus avoir besoin de puiser dans ses réserves de cash (ou en vendant une fraction de son portefeuille). Sans oublier que la rente AVS viendra s’ajouter à nos dividendes à partir de 65 ans.
La bourse est imprévisible sur le court terme, mais sa tendance est clairement haussière sur un horizon de temps supérieur. Ne laissons pas ses dérèglements hormonaux à court terme mettre des bâtons dans les roues dans nos objectifs et nos rêves à long terme.
Pourquoi se tuer au travail jusqu’à 60 ans, alors qu’en planifiant soigneusement les choses et en acceptant si besoin de ne pas vivre dès le premier jour de notre indépendance financière que de ses dividendes (c’est-à-dire en puisant au besoin dans son capital ou sa réserve de cash les premières années), on peut regagner cette liberté qui n’a pas de prix déjà 10 ans plus tôt?
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Eh eh dividinde. Merci pour cet excellent article également.
Parfois quand je te lis, et je te l’ai déjà dit, je prends peur, car j’ai l’impression de me lire.
Bref, ta conclusion résonne parfaitement en moi puisque cela fait depuis le début de mon aventure que je dis que l’indépendance financière n’est pas une chimère lointaine pour quiconque se lance sur ce projet. C’est avant-tout un état d’esprit. Si on possède ce dernier, qu’on s’engage sur ce chemin avec la motivation nécessaire, les résultats se voient rapidement. On n’a pas besoin d’attendre 10, 20 ou 30 ans pour « devenir » rentier. C’est exactement ce que j’explique en détail dans mon e-book « Profession Rentier », en donnant aussi plusieurs scénarios et moyens possibles pour transformer sa vie sans devoir attendre une hypothétique date ou un hypothétique montant.
Dans mon cas, en 19 ans, j’ai multiplié par 50 mon capital investi en bourse, mais j’ai surtout presque divisé par deux mon temps de travail (il faut dire que je partais de très haut). Pour moi c’est bien ce dernier point qui est important. Gagner en bourse c’est bien, réussir à le concrétiser en qualité de vie le plus rapidement possible, c’est beaucoup mieux.
Dans les différents scénarios que tu as indiqués, il faut aussi préciser qu’ils peuvent (et devraient même) évoluer dans le temps, typiquement une baisse du taux d’activité progressive et/ou petites activités annexes indépendantes, jusqu’à arrêter complètement de travailler quand on le souhaite (et si on le souhaite).
PS : dividinde, si tu n’as pas encore lu mon e-book, fais-le moi savoir, je te l’envoie gratos pour « services rendus » 🙂
Merci Jérôme pour ton commentaire pertinent et ta proposition très généreuse. C’est vrai que je n’ai encore jamais lu ton e-book et il est grand temps de remédier à cette omission!
Par contre – et désolé si ça fait vieux jeu – c’est important pour moi de le payer, car je sais le temps et l’énergie que tu y as investi et l’obtenir gratuitement signifierait pour moi ne pas reconnaître ton travail à sa juste valeur.
Considère cela comme une modeste rétribution pour tes articles!
Je te l’envoie d’ici peu 😉
Bonjour, merci pour votre reflexion sur la maniere de pouvoir quitter au moins partiellement son emploi et vivre de son capital boursier.
J’aimerais pouvoir recevoir l’ebook de Jérome intitulé « profession rentier », pourriez vous me donner la marche a suivre
Merci
Jean Philippe
ça se passe par ici : https://www.dividendes.ch/e-book-profession-rentier/
Merci Dividende. Les réflexions que Jérôme et toi-même avez faites au sujet de la question « dividendes et/ou capital pour financer sa retraite » sont très intéressantes et très utiles. Il est éclairant de mettre les chiffres noir sur blanc et de faire des simulations pour s’éloigner des mythes et autres a priori.
Mais il n’en demeure pas moins qu’il doit être psychologiquement, plus ou moins selon les personnes, difficile de puiser dans le capital, qui est non seulement une source de revenus s’il est correctement placé mais également un coussin de sécurité. Par nature, l’Être humain a généralement besoin de sécurité, respectivement de se sentir en sécurité, qui plus est que si le passé est connu, le futur est incertain.
Donc même si les chiffres montrent qu’il est possible de manger le capital en plus d’utiliser les dividendes, il faut un certain courage, une force de caractère et/ou une bonne dose de confiance en soit pour franchir le pas.
Je pense que pour pallier en partie le sentiment d’insécurité, il est censé de toujours garder un revenu du travail, fut-il modeste en terme de temps consacré.
100 % d’accord avec toi. Comme je l’indique dans mon ebook c’est d’ailleurs même la voie de prédilection en termes de gestion du risque, de bien-être, de rapidité à atteindre son but et cela a même de nombreux avantages en termes d’assurances sociales.
C’est certain que la pression psychologique peut s’avérer délicate à gérer, surtout au début. Mais je suis d’avis qu’une bonne préparation va aider à gérer de façon plus sereine cette période de transition.
Ce que j’entends par une bonne préparation:
– Avoir une réserve de cash qui permette de gérer les coups durs / imprévus les 5 à 10 premières années.
– Connaître l’augmentation annuelle moyenne de ses dividendes. Des statistiques du genre « les 10 dernières années, mes dividendes ont augmenté de 5% en moyenne par année, avec seulement 2% de croissance la plus mauvaise année et 8% la meilleure » sont très rassurantes.
– Étudier ses performances historiques, du genre: les 10 dernières années, mon portefeuille a gagné en moyenne 6% par année; la plus mauvaise année a été une perte de 15% et la meilleure un gain de 20%.
– Autre calcul intéressant: Au cours de la dernière décennie, j’aurais pu consommer x% de mon capital chaque année sans que cela n’impacte négativement mes revenus passifs.
– Savoir à partir de quand on va toucher sa rente AVS ou quand on pourra par exemple retirer son 3e pilier.
C’est vrai que les performances passées ne sont pas une garantie des rendements futurs, mais elles donnent quand même une excellente approximation de ce que l’on peut s’attendre à obtenir.
Je suis tombé sur cet article d’un gars qui a pris sa retraite en 1994 à l’âge de 38 ans et qui fait le point 20 ans après:
http://www.retireearlyhomepage.com/20year.html
L’enseignement le plus intéressant, c’est qu’il a pris sa retraite une fois qu’il avait mis de côté 25x ses dépenses annuelles, ce qui correspond au fameux retrait annuel de 4%. 20 ans plus tard, APRÈS avoir consommé plus de 4% par année (4% + l’inflation), il se retrouve avec un portefeuille qui a en gros quadruplé et il n’a désormais besoin de consommer plus que 1% de son capital pour couvrir ses dépenses annuelles!
Cela montre une fois de plus le potentiel extraordinaire de la bourse et des intérêts composés. Ce type a pourtant traversé les grosses crises de 2000-2002 et 2007-2008, mais il est resté fidèle à sa stratégie et se retrouve avec bien plus que ce qu’il avait imaginé 20 ans avant. Il dit que son seul regret est de ne pas avoir pris sa retraite encore plus tôt!
Son article va exactement dans le sens de ce que je disais: attendre trop longtemps pour prendre sa retraite en voulant être trop prudent, c’est gâcher des années de liberté pour rien, tout ça pour se retrouver à la fin avec plus que nécessaire pour vivre.
C’est clair! Et c’est bien pour ça que j’ai déjà considérablement baissé mon temps de travail.
Bon le gars peut se consoler et mener la grande vie maintenant !